Vous devez avoir peur ! Voilà, semble-t-il, l’injonction que nous recevons de tous cotés en cette période de rentrée scolaire tout à fait unique en son genre.

Les uns nous disent qu’il faut avoir peur d’une deuxième vague, les autres qu’il faut avoir peur de l’hydroxychloroquine, peur des « clusters », peur des postillons, peur des gens qui reviennent de Belgique, de Genève ou d’Île de France, peur des personnes insouciantes qui ne respectent pas les « gestes barrière ».

D’autres encore affirment qu’il faut avoir peur des vaccins que l’on nous promet et que l’on risque de nous imposer, ou des masques que l’on nous oblige d’ores et déjà à porter et des applications que l’on nous invite à télécharger sur nos téléphones portables, distinguant dans ces injonctions le spectre d’une dérive sécuritaire insidieuse contre laquelle nous devrions nous prémunir avant qu’il ne soit trop tard. On chuchote même que, dans quelques lieux tenus secrets, on s’inquiète des difficultés que rencontreront les logiciels de reconnaissance faciale des citoyens dans les rues dès lors qu’ils porteront tous un masque…

Nombre d’entrepreneurs craignent une nouvelle période de confinement, les politiques craignent d’être blâmés pour leur gestion jugée inefficace, voire contreproductive, de la crise. Certains esprits libres ont peur de se laisser influencer par les médias et par le discours dominant, d’autres redoutent de se laisser manipuler par des théoriciens du complot opportunistes et sans scrupules… On ressent aujourd’hui la pertinence de l’intuition nietzschéenne selon laquelle le premier moteur de la recherche de la connaissance, et donc de la science, n’est autre que la crainte, l’inquiétude, la peur de perdre la maîtrise de nos fragiles existences. Peur d’affronter l’incertitude, l’inconnu, l’imprévisible, l’incontrôlable…

Peur de se positionner sur des sujets que l’on ne maîtrise pas, peur de mal interpréter les chiffres épidémiologiques qu’on nous présente aux nouvelles du soir, peur de sombrer dans le dogmatisme, peur de prendre des risques inconsidérés, peur de planifier un voyage et de devoir tout annuler, peur de devoir à nouveau fermer son restaurant, peur de perdre son emploi, peur d’être amendé, peur de faire faillite.

Il y a ceux qui ont peur de la reprise de l’école, ceux qui craignent la non-reprise de l’école et surtout celles et ceux qui redoutent par dessus tout la reprise de l’école à la maison. Peur du décrochage scolaire, peur de l’augmentation de la violence domestique, peur d’un renforcement des inégalités, peur d’être mis en quarantaine, peur que les choses ne redeviennent pas comme avant, peur qu’elles redeviennent comme avant, peur de mettre sa vie, ou la vie des autres, en danger…

Alors que la peur de devoir être intubé semble rivaliser avec celle de se faire entuber, certains en viennent, assez logiquement, à avoir peur de cette peur contagieuse, comme le suggérait, à une autre époque, le président Franklin D. Roosevelt. Peur de leur propre peur, peur aussi d’avoir eu peur pour rien, ou peur de ce que la peur des autres pourrait les amener à faire, ou à ne pas faire, et qui pourrait avoir des conséquences potentiellement aggravantes sur la situation. Peur, par exemple, que des personnes vulnérables aient peur de se rendre à l’hôpital pour se faire soigner d’autres maux aussi dangereux pour leurs vies, voire plus, que le COVID-19. Et comment, en tant que praticiens de l’approche systémique stratégique, ne pas avoir peur dans un contexte aussi incertain, de contribuer à alimenter, d’une façon ou d’une autre, de potentielles tentatives de solution?

Plus que jamais, la peur est notre compagne quotidienne, et on pourrait même oser dire que c’est elle qui, d’une certaine façon, nous rassemble. Car même si la question de ce dont il faut avoir peur fait largement débat (notamment sur les réseaux sociaux, lieu propice où il est encore possible, dans une certaine mesure, de se cracher les uns sur les autres sans être amendés…), la peur, elle, semble bel et bien être là pour tout le monde. Et, peut-être que, bizarrement, cette constatation d’une peur omniprésente, si largement partagée, peut avoir pour chacune, chacun d’entre nous, quelque chose d’apaisant, car au fond, elle nous fait nous sentir un peu moins seuls dans cette galère… Rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls à avoir peur !

A contrario, nous invitons toute personne qui ne ressentirait pas particulièrement de peur ou d’anxiété en cette période à commencer dès aujourd’hui à s’inquiéter de ce fait étrange…

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