Selon Milton H. Erickson, « pour qu’une situation change, il faut que le patient fasse quelque chose ». Dans notre approche systémique et stratégique de résolution des problèmes, il faut non seulement que la personne fasse quelque chose, mais qu’elle fasse quelque chose de radicalement différent de ce qu’elle a fait jusqu’alors, qui a pu contribuer à créer ou à maintenir le problème.

Pour l’aider à cela, nous avons deux grands outils : les recadrages et les prescriptions de tâches. Dans cet article, nous vous proposons d’examiner un type de tâche d’apparence très modeste : les tâches de réflexion et d’imagination.

Déjà, simplement penser, envisager, considérer, rêver… n’est pas quelque chose d’aussi impliquant que faire. Du moins, pas à première vue.

Mais voyez par vous-mêmes : vous imaginez que quelque chose de terrible arrive à l’un de vos proches. Immédiatement, vous ressentez quelque chose dans votre corps. Ou vous pensez à quel point telle tâche que vous êtes censé réaliser va être fastidieuse, déplaisante, génératrice de difficultés et de complications que vous ne savez pas comment gérer : votre mouvement est immédiatement ralenti, voire bloqué. Ou alors, vous êtes confortablement installé dans votre lit, il fait froid dehors, et on dirait que vous n’êtes pas prêt d’en sortir; puis vous vient l’image ou la pensée de quelque chose d’attirant que vous avez envie de faire, et hop, vous voici en mouvement, hors du lit…

L’esprit humain, cette machine merveilleuse pour créer des problèmes et pour les résoudre, est capable d’inventer de nouvelles réalités de toutes pièces, et nous pouvons mettre à profit cette capacité pour orienter l’attention de nos patients de manière à arrêter les tentatives de solution jusque-là infructueuses.

Nous pourrions rapprocher cette pratique d’une citation célèbre de Bernheim :

« Ce qu’on appelle hypnotisme n’est autre chose que la mise en activité d’une propriété normale du cerveau, la suggestibilité, c’est-à-dire l’aptitude à être influencé par une idée acceptée et à en rechercher la réalisation. »

Si vous proposez régulièrement des tâches aux personnes que vous accompagnez – quelles qu’elles soient : observer des choses, réfléchir à des choses, faire des choses, pratiquer l’autohypnose, des exercices, prendre des médicaments… – il est probable que vous ayez déjà été confrontés à la situation d’un patient qui n’a pas mis en place ce qui lui a été proposé. Qui est revenu en ayant oublié ce que vous lui avez demandé… ou en disant que cela n’a pas été possible…

Effectivement, il arrive que le patient ne fasse pas ce qui lui a été préconisé, et une des multiples raisons à cela pourrait être qu’il ne peut pas encore le faire.

Un patient venu récemment à notre centre de consultation à Paris a commencé la séance en expliquant en détail de quelle manière il était doué pour, selon ses mots, « se mettre dans la merde, pour se créer une vie de merde », et qu’il était également talentueux pour résister à tout changement, qu’il avait consulté à diverses reprises, toujours sans succès, ponctuant son discours d’un rire sarcastique. Il était double, comme il disait : une partie de lui voulant s’en sortir, et une autre toujours capable de l’en empêcher.

Et il a enchaîné avec une liste de problèmes extrêmement douloureux, la séquence avait de quoi vous toucher en tant que thérapeute, d’autant plus qu’il était possible d’imaginer aisément que certaines de ces difficultés pourraient être soulagées dans un temps court…

Comme il avait eu la gentillesse de nous expliquer la nature de son premier problème, la première prescription que nous lui avons proposée a été de prendre chaque jour un bon quart d’heure pour réfléchir en détail à comment, par quelles manœuvres, il pourrait encore une fois laisser agir cette partie de lui réticente au changement et perdre ainsi l’opportunité de recevoir l’aide qu’il venait pourtant chercher. De quelle manière il pourrait mettre en échec chaque effort, de sa part comme de celle de la thérapeute, et devoir continuer encore et encore vivre au quotidien la douleur qu’il vivait maintenant, et qu’il pouvait peut-être prendre des notes pour nous en faire part la prochaine fois…

En entendant cela il a eu un petit hoquet de surprise, s’est soudainement paralysé, le rire sardonique a cessé – et nous connaissons tous ces petits signes qui montrent que la surprise engendrée crée une ouverture…

À la deuxième séance, il s’est présenté avec un grand cahier neuf à la couverture cartonnée où il avait consciencieusement noté la longue liste de ce qu’il pourrait mettre en œuvre pour saboter sa thérapie (arriver en retard, ne pas venir, raconter des bobards, rationnaliser, se dissocier de ses émotions, ne pas appliquer ce que la thérapeute proposait, se trouver des excuses, passer du temps encore à se plaindre, partir dans des explications psychanalytiques, etc.). La thérapeute, après l’avoir remercié pour ce travail important, lui a proposé de tenir sa liste très en évidence, et d’utiliser ces procédés au besoin. Elle aussi serait vigilante : au cas où cela arriverait, elle comprendrait que le moment n’était pas encore venu pour lui d’avancer dans sa demande… et que plutôt que de lui faire perdre encore du temps, de l’énergie, de l’argent, et surtout de l’espoir, elle proposerait qu’ils arrêtent…

En évitant de prendre pour soi le défi du patient, une mobilisation nouvelle est née, et ils ont pu commencer à travailler sur les problèmes, les uns après les autres.

Comme le disent quelques-uns des pères fondateurs du modèle de Palo Alto, Fisch, Weakland et Segal :

« S’il est possible de provoquer un changement par des interventions simples et directes telles que des suggestions ou des demandes directes de modifier un comportement, c’est encore mieux. Certains clients, bien qu’au cours de notre carrière nous n’en ayons pas beaucoup rencontré de cette espèce, peuvent se montrer aussi coopératifs que cela. Un tel esprit de coopération se rencontrera plus particulièrement dans les cas où le client aura bien compris qu’il a absolument besoin des conseils et de l’aide du thérapeute et où il se sera déjà montré coopératif – en répondant facilement aux questions du thérapeute. Mais, même dans ce type de situation, il sera fondamental de ne passer que prudemment à des suggestions comportementales directes – et, avant tout, d’être prêt, plutôt que de vouloir forcer les événements, à reculer et à avancer plus indirectement si le client résiste à ces suggestions. »

Et il peut « résister » parce qu’il y a de bonnes raisons à cela, par exemple des aspects émotionnels qui l’empêchent d’aller de l’avant dans une direction que pourtant rationnellement il perçoit comme logique.

Il arrive également que lorsqu’une personne est dans la « situation-problème », cela soit si difficile que bien naturellement tout ce qu’elle souhaite est d’aller dans la « situation non-problème », que la souffrance s’arrête. Mais il se peut qu’à l’intérieur de la « situation-problème » il y ait un petit endroit sans problème, un endroit où ça va… un tout petit morceau qu’elle rechigne à abandonner, et qu’il faut prendre en compte. Par ailleurs, peut-être que la « situation non-problème », si attirante à première vue, recèle en elle un petit endroit où de nouveaux problèmes l’attendent… et tant que la personne ne les a pas évalués, une partie d’elle peut répugner à aller vers ce changement tant voulu…

D’où les réticences, les objections qui peuvent apparaître.

Demander au patient : « Si vous obtenez ce que vous voulez, si vous allez dans cette direction, quels pourraient être les risques, les pertes, les inconvénients d’un tel changement ? » normalise la difficulté dans certains cas à changer, à guérir, et permet de traiter chaque élément qui aura émergé de façon à pouvoir dépasser ces blocages, ces empêchements, ou alors de se raviser par rapport à la direction qui avait été prise.

Lors d’une demande un peu floue ou globale, les tâches d’imagination peuvent aussi être utilisées pour la rendre plus « travaillable ».

Une jeune avocate était venue consulter pour un problème de « confiance en soi », comme elle le disait. Elle avait terminé ses études depuis un an et demi déjà, mais se sentait toujours comme une étudiante, devant faire ses preuves et n’osant pas se mettre en avant. Physiquement elle n’était pas satisfaite d’elle-même, et se cachait sous des vêtements larges. Son deuxième stage s’éternisait – elle avait le sentiment de ne pas être prise au sérieux dans le cabinet.

Et voici ce que nous lui avons dit :

« Sans rien changer pour le moment, je vous invite à réfléchir chaque jour… Si j’avais déjà confiance en moi… que ferais-je de différent ? Chaque jour, prenez un moment tranquille où vous pensez à cela et notez ce qui vient pour que nous puissions en parler la prochaine fois. »

À la séance suivante, en allant chercher la patiente dans la salle d’attente où d’autres personnes attendaient leur rendez-vous, nous ne l’avons pas reconnue tout de suite. La jeune femme s’est levée et nous a précédé dans des habits qui épousaient ses formes avantageusement, tenant à la main un porte-documents neuf, parfaitement coiffée, et c’est avec surprise que nous l’avons suivie dans un léger sillage de parfum.

Elle a expliqué que plus elle réfléchissait à la question, plus il lui devenait clair qu’elle renvoyait au monde une fausse image d’elle – éternellement en jeans et chemises larges, avec son vieux sac à dos d’étudiante – et qu’il n’était pas étonnant qu’elle soit devenue une gratte-papier dans le cabinet. Mais que ce n’était pas ce qu’elle souhaitait, qu’elle n’avait pas passé l’examen du barreau pour cela. D’ailleurs, elle avait demandé un rendez-vous à son chef pour discuter de la suite – ce qui lui semblait inimaginable avant (mais maintenant qu’elle l’avait imaginé, elle allait devoir le faire !).

Nous nous sommes montrés étonnés qu’elle ait déjà fait tant de choses, tandis que nous avions parlé de juste y penser ! Voilà une preuve – que nous n’avons pas eu à expliciter – que la confiance en elle se développait, qu’elle prenait des décisions d’elle-même sans plus attendre.

Comme vous pouvez le voir, avant que nous puissions le faire, cette jeune femme pleine de ressources s’est auto-prescrit de faire « comme si » elle avait déjà confiance, en mettant en place une série d’actions qui ont à leur tour augmenté sa confiance en elle sur les points qui lui étaient pertinents, grâce à cette réflexion initiale, évitant que ce thème de la « confiance en soi » ne devienne quelque chose de vague, vaste et peu opérationnel.

Les tâches de réflexion ou d’imagination ne datent pas d’aujourd’hui. Nietzsche, en développant son thème de l’éternel retour, proposait déjà au 19ème siècle ceci :

« Et si un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : « Cette vie, telle que tu la vis et l’as vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois ; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même. L’éternel sablier de l’existence est sans cesse renversé, et toi avec lui, poussière des poussières ! » – Ne te jetterais-tu pas par terre en grinçant des dents et en maudissant le démon qui parla ainsi ? Ou bien as-tu vécu une fois un instant formidable où tu lui répondrais : « Tu es un dieu et jamais je n’entendis rien de plus divin ! »  Si cette pensée s’emparait de toi, elle te métamorphoserait, toi, tel que tu es, et, peut-être, t’écraserait ; la question, posée à propos de tout et de chaque chose, « veux-tu ceci encore une fois et encore d’innombrables fois ? » ferait peser sur ton agir le poids le plus lourd ! Ou combien te faudrait-il aimer et toi-même et la vie pour ne plus aspirer à rien d’autre qu’à donner cette approbation et apposer ce sceau ultime et éternel ? »

Avec un langage intense et poétique, nous trouvons l’esprit de la prescription qui a été donnée à une patiente en très grand surpoids qui ajournait tout acte agréable de sa vie en vue d’un futur hypothétique où elle serait finalement plus mince, plus conforme, augmentant chaque jour la pression sur cet objectif tant de fois poursuivi et tant de fois abandonné.

Ce processus créait un contexte où elle souffrait autant de cette obésité que de tous les manquements de la vie. Elle menait une existence terne et anxieuse, ce qui augmentait l’appétence pour la nourriture, devenue le seul plaisir à portée de main.

Nous lui avons demandé :

« Imaginons que ce soir, pendant que vous dormez, que nous dormons, un gaz mystérieux, inodore, incolore, pénètre le pays tout entier, la ville, chaque quartier… et s’introduise jusqu’à chez vous. Comme vous dormez vous le respirez, comme chaque personne – et imaginons que cet air particulier ait la propriété de vous figer à jamais dans ce corps qui est le vôtre… quoi que vous fassiez, vous priver de nourriture, ou en manger, votre poids ne changera pas, ne changera plus… si vous saviez que vous étiez condamnée à garder ce poids à jamais, que feriez-vous de différent chaque jour, par rapport à ce que vous faites aujourd’hui ? »

Après une première réaction de surprise et de refus – « ce n’est pas possible, je me tuerais ! » -, nous l’avons juste invitée à créer cette fantaisie chaque jour… et à amener la liste des éléments qu’elle aurait notés.

Au rendez-vous suivant elle raconte :

« Au début, en imaginant que je devrais garder ce poids à vie, j’ai beaucoup pleuré. Ensuite, j’ai continué à réfléchir, parce que c’était le jeu, et voici la liste… : je prendrais des vacances à la mer, et je me baignerais avec mes enfants, je ne me suis jamais mise en maillot de bain.  Je m’achèterais des vêtements de qualité à ma taille, j’arrêterais de porter des choses serrées de quand j’étais plus mince. Je serais un peu plus coquette, tout de suite. Je postulerais pour un poste plus intéressant. J’irais faire mes examens de contrôle, sans attendre d’avoir perdu du poids pour éviter que le médecin me fasse des remarques… Enfin, je crois que j’arrêterais d’attendre tout court et je commencerais à vivre un peu plus la vie comme je veux. »

Travailler sur ses objectifs a permis de rendre sa vie plus satisfaisante sans temporiser, la nourriture n’était plus l’unique exutoire, et un équilibrage a été possible.

Il y a parfois des choses qui font peur aux patients et ils ne les examinent pas parce que c’est trop dur. Le fait de les regarder, de les expérimenter en pensée, est susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives, rendant la situation un peu moins intimidante, et la personne peut avoir le sentiment de moins la subir, de moins être à sa merci.

Un jeune homme avait développé des pensées très obsessionnelles qui tournaient en rond, l’obligeant à compter et à faire toutes sortes de procédures mentales chaque fois que l’idée que son compagnon pourrait le tromper venait à son esprit, comme une sorte d’incantation qui éviterait que ses craintes se réalisent, ou pour éviter simplement d’y penser… Il pouvait également lui demander de le rassurer sur le fait que cela n’arriverait pas, et si dans un premier temps son amoureux avait bien voulu le faire, de plus en plus cela créait des tensions dans le couple. Le jeune homme disait tristement qu’il savait qu’il finirait par l’éloigner définitivement en agissant de cette manière. Mais la peur était devenue si grande qu’il se trouvait coincé et tentait par tous les moyens de ne plus éprouver ces affects plus que pénibles.

Nous avons échangé sur le fait que tant qu’il était prisonnier de cette peur – tout à fait justifiée par ailleurs, car voilà un domaine où personne ne peut être sûr à jamais que cela n’arrive pas – il serait soumis à ces pensées envahissantes, à l’incertitude de l’avenir, à une estime de soi chancelante après avoir encore demandé à son compagnon s’il ne le tromperait pas, s’il ne le quitterait pas. La seule manière de parer à cette situation serait de pouvoir faire face à toute éventualité. Et que pour l’aider dans ce sens, nous allions lui demander de faire quelque chose de vraiment désagréable, de vraiment difficile, mais probablement moins difficile que tout ce qu’il vivait depuis un certain temps : chaque jour, il devait prendre un moment bien installé à l’abri de toute interruption, pour laisser venir cette peur terrible, pour la convoquer même… Que son ami le trompe, qu’il s’en aille… Que ferait-il s’il le découvrait ? Et si son amoureux le quittait ? Comment pensait-il affronter cette situation effrayante ? Que ferait-il si du jour au lendemain il partait ?

Aller là-dedans, affronter les pires craintes (affectives, économiques, sociales et autres, en cas de séparation), a passablement diminué la pression, le combat contre ses pensées a cessé, et cela a été une avancée dans le travail thérapeutique.

Au démarrage de cet article nous disions que nous avons deux grands dispositifs pour travailler à la résolution des problèmes, le recadrage et les prescriptions de tâches. Et certaines tâches agissent comme des recadrages, modifiant d’une manière intéressante la perception que la personne peut avoir de sa situation.

Cela a été le cas d’une infirmière prise par une anxiété de plus en plus fréquente accompagnée de divers problèmes somatiques qui est venue consulter pour des difficultés relationnelles au sein de son équipe.

La veille des réunions de service elle ne dormait pas ou très mal, et tentait de se convaincre que cela se passerait mieux la prochaine fois. Mais à chaque fois les conflits ouverts, le ton, la manière que certains avaient d’amener les sujets la surprenaient et la heurtaient, l’obligeant à réagir vigoureusement, à monter en escalade avec des collègues ou la cheffe de service, pour être ensuite moquée pour sa réactivité, recevant des sobriquets blessants comme « Mme la syndicaliste » ou « Drama Queen ».

Après examen de la situation, nous lui avons dit que son optimisme naturel la conduisait à sa perte. Si la prochaine réunion se passait moins mal, tant mieux, mais c’était dans le cas où elle se passerait toujours aussi mal qu’il fallait qu’elle soit préparée. Et nous lui avons demandé d’anticiper dans sa tête tout ce qui pourrait mal tourner, ce qui pourrait être dit, les décisions erronées, le manque de politesse…

Quand nous l’avons revue, elle nous a expliqué que tout ce qu’elle avait pu envisager s’était produit : la mauvaise foi des uns et des autres, le manque d’entraide et de collaboration, etc., et que pour une fois elle n’avait pas réagi de la manière habituelle. Questionnée sur cela, elle a répondu qu’elle se rendait compte pour la première fois combien ces scenarii étaient joués d’avance… l’imagination, dans une nouvelle direction de l’attention, non plus vers ce qui « devrait être » mais sur ce qui « était », lui avait permis de mieux faire face, en étant moins surprise, moins réactive, pour prendre un certain recul et commencer à trouver de nouvelles pistes de régulation relationnelle.

Enfin, il y a tellement de tâches de réflexion intéressantes qu’il est impossible de les passer en revue ici de manière exhaustive. Mais parlons encore de la subtile question théorique « comment aggraver ? ». Comment agit-elle ?

Voici une formulation possible :

« Ce que je vais vous demander pourrait vous surprendre, parce que vous venez ici pour que votre situation s’améliore… Je voudrais que tous les jours vous vous posiez la question théorique suivante – c’est une question théorique, vous ne la mettrez pas en pratique : « Si au lieu de vouloir améliorer ma situation, résoudre mes problèmes, je voulais au contraire volontairement les aggraver, que devrais-je faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire, penser ou ne pas penser ? » Posez-vous cette question tous les jours et notez les réponses sur une feuille pour que nous en parlions la prochaine fois. »

Si cette orientation de l’attention touche sa cible, la personne identifiera au moins une partie de ce qu’elle fait déjà et qui, sans qu’elle l’ait prémédité, participe à son problème – elle pourrait ressentir une aversion naturelle à l’égard de ces tentatives de solution. Habituellement, à la séance suivante, sans avoir fait d’effort, la personne aura moins mis en œuvre ce qui maintient et aggrave son problème et se sentira déjà mieux. En plus cela crée un peu de souplesse dans une situation figée – si je sais l’aggraver cela voudrait dire que je peux jouer avec le curseur et peut-être… l’améliorer.

Il y a diverses manières d’amener un travail de réflexion, selon la situation, le style de la personne en face et celui du thérapeute.

Nous pouvons le proposer d’une manière structurée et formelle, avec des modalités très précises : « Chaque jour, prenez quinze minutes installé à votre table et… », ou plus indirecte : « Vous pourriez peut-être laisser venir ces idées… ».

Elles sont très souples quant à leur utilisation, possibles pendant la consultation, entre un rendez-vous et l’autre, lors des séances d’hypnose.

Nous avons pu donner l’exemple de diverses prescriptions de tâches qui nous ont été léguées par des thérapeutes et autres praticiens expérimentés : imaginer le pire, examiner les risques du changement, faire « comme si » dans sa tête, réfléchir à comment aggraver le problème, envisager les choses si rien ne changeait… Mais nous pouvons également continuer de réfléchir, personnaliser et construire des prescriptions ad hoc pour les patients que nous accompagnons.

De nombreuses personnes intelligentes ont pratiqué ce qu’on appelle des expériences de pensée. Pour n’en citer que quelques-unes, très connues, Galilée, Descartes, Newton, Schrödinger, Einstein… Dans le cas d’Einstein, ses expériences de pensée ont pu servir à illustrer des phénomènes relativistes contre-intuitifs, peu accessibles à notre logique et à notre bon sens ordinaires, à aider à penser « hors de la boîte ». Le fait d’avoir imaginé, à seize ans, qu’il poursuivait un rayon de lumière dans l’Univers a joué un rôle clé dans le développement de la notion de relativité.

Pour conclure, nous nous demandons de quelle manière ces prescriptions pourraient trouver une place dans votre pratique, pour quels patients, dans quelles circonstances, de quelle manière vous pourriez, si cela est pertinent, les intégrer dans votre quotidien professionnel et même, pourquoi pas, personnel…

Comme disait ma collègue et amie Nathalie Koralnik, en proposant élégamment une tâche de réflexion à l’une de ses patientes :

« Jouez avec ça dans votre esprit… ».

Un article de Vania Torres-Lacaze, avec la participation de Nathalie Koralnik et Guillaume Delannoy, initialement publié dans le numéro spécial de la revue Hypnose et Thérapies brèves de mars 2022 consacré aux tâches thérapeutiques.

Partagez cet article!

Articles récents

Archives

Catégories