Ernst von Glasersfeld, le célèbre théoricien autrichien du constructivisme radical, définissait la cybernétique comme « l’art de créer un équilibre dans un monde de possibilités et de contraintes« . Et c’est bien là l’enjeu principal auquel sont confrontés les différents systèmes aux prises avec la pandémie de coronavirus: individus, familles, entreprises, hôpitaux, écoles, administrations, sociétés, nations, continents, espèce humaine… Chaque système cherche à garder un semblant d’équilibre, à maintenir son homéostasie, face à un contexte radicalement nouveau, mouvant et par conséquent très incertain.

Don D. Jackson

L’une des premières réactions que nous avons pu observer au cours des derniers jours, est la façon dont nous autres humains pouvons avoir une certaine tendance à qualifier, publiquement ou non, les comportements de tels ou tels décideurs, de tels ou tels citoyens, de tels ou tels consommateurs, de tels ou tels patients, comme étant non éthiques, stupides, voire même dangereux. Les idiots qui font des stocks de papier wc, les imbéciles qui n’en font pas. Les gouvernements qui prennent des mesures trop laxistes, et ceux qui prennent des mesures trop strictes. Les gens qui ont une peur exagérée, et ceux qui sont « inconscients », dans le déni… Et pourtant, il nous semble bien difficile à l’heure actuelle de se prononcer de façon catégorique pour décréter qu’un individu ou un gouvernement prend aujourd’hui une décision qui s’avèrera à coup sûr juste ou éclairée dans un contexte aussi incertain. A la suite du psychiatre américain Don D. Jackson, nous préférons partir de l’hypothèse que chacun d’entre nous fait aujourd’hui de son mieux en fonction de la façon dont il perçoit le contexte dans lequel s’inscrit son action.

Mais alors, de quels repères disposons-nous pour situer notre action? Quelles clefs de lecture devons-nous privilégier face à une une situation aussi complexe? L’anthropologue anglais Gregory Bateson, soulignait qu’ « on ne peut discuter de la finalité d’une action qu’après avoir délimité le système au maintien duquel cette action contribue. » Et c’est bien là, à notre avis, une question qui mérite d’être posée: « quel est le système au maintien duquel mon action cherche à contribuer? » A ce niveau, les arbitrages et les tensions vont probablement continuer à émerger, alors que les injonctions à la solidarité et les accusations d’égoïsme risquent de fuser lorsque les un.e.s et les autres auront une définition différente du système qu’il convient de protéger en priorité: l’individu? la famille? l’entreprise? le quartier? le canton? la nation? En fonction de nos positions respectives dans le système, nos priorités individuelles et collectives risquent parfois de ne pas être les mêmes, comme semblent déjà le montrer les dilemmes auxquels sont confrontés certains décideurs politiques, certains professionnels et certaines familles au jour le jour…

Et, comme toujours, il nous faudra attendre de pouvoir mesurer les effets de nos actions pour être en mesure de dire si elles se seront avérées judicieuses ou au contraire catastrophiques pour maintenir en vie les différents systèmes que nous souhaitons absolument préserver…

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